Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Bonjour Iryna ! Je m’appelle Caroline, j’ai 25 ans et je suis graphiste / illustratrice. J’ai fait mes études de graphisme pendant 2 ans à l’Ecole Supérieure des Arts de Saint-Luc à Tournai (Belgique). C’était très chouette, mais je trouvais qu’il me manquait quelque chose, c’était un peu trop orienté arts-plastiques à mon goût. Je trouvais que la formation manquait de concret, et j’avais du mal à comprendre ce qu’était le graphisme et comment je pourrais en vivre après l’école. Je suis donc revenue à Paris et j’ai fait un BTS design graphique option médias numériques en alternance. J’y ai passé 2 ans et je travaillais donc à côté pour la mairie de Boulogne-Billancourt au service communication, une semaine sur deux. Mon poste consistait à m’occuper de la communication visuelle de la ville, à faire les affiches, les flyers, et même une couverture de magazine. Travailler dans une mairie est très intéressant, c’est complètement différent d’une agence. Aujourd’hui je travaille dans une start-up qui s’appelle Augment et qui est une plateforme de réalité augmentée. Pour résumer simplement, nous proposons une solution qui permet de visualiser un produit en 3D grâce à un smartphone ou une tablette. Si vous souhaitiez acheter un canapé par exemple, vous pourriez vous assurer qu’il rentre bien dans votre salon grâce à notre app. On travaille principalement avec les sites de ecommerce.

L’interview en direct (à l’occasion de la semaine de la femme créative à l’école de design E-artsup). Iryna à gauche et Caroline à droite.

Pendant vos années d’études, y-a-t-il un projet en particulier qui vous a marqué ?

Il y a eu beaucoup de projets qui m’ont marquée, mais des projets que j’ai réellement aimé faire, c’est une autre histoire. Aujourd’hui ça fait 5 ans que je travaille, j’ai pris du recul sur mes années d’études et même si j’en garde des souvenirs tendres, je ne suis pas toujours fière de tout ce que j’y ai accompli. L’un des projet que j’avais apprécié était un concours organisé par la région ÎIe-de-France en 2015 et ouvert aux écoles de graphisme aux alentours. Il fallait concevoir la nouvelle carte de vœux de la région, un “goodie” et une vidéo. Représenter une région ce n’est jamais simple, mais je suis partie de leurs valeurs qui évoquent la connexion, les relations et la communication, pour en faire une maquette de la forme du territoire avec des fils de couleurs et des clous. Ce projet, j’ai dû le faire à plusieurs reprises puisqu’il a fallu que je réaffine le concept à chaque étape de la sélection, puis le refaire une dernière fois en stop motion pour la version numérique de la carte de vœux. Autant dire que je suis devenue une pro des clous (rires).

La carte de vœux

Aujourd’hui vous travaillez pour Augment, pouvez-vous nous en dire plus sur votre poste et plus généralement le fonctionnement de cette start-up ?

Chaque start-up est différente dans son fonctionnement, et c’est ce qui est intéressant lorsqu’on travaille dans ce genre d’environnement.
Nous sommes assez libres sur les horaires. Généralement, nous essayons d’être présents de 10h à 18h, mais il est possible de les adapter en fonction de nos besoins. Je préfère ce système, qui fait confiance aux employés, le principal étant que le travail soit correctement accompli.

Je me considère un peu comme la gardienne de l’identité visuelle d’Augment. L’idée est d’asseoir la légitimité de ma boîte, et étant donné le nombre de start-ups présentes sur le marché et de produits qui font de la réalité augmentée, il faut vraiment se démarquer. Outre la charte graphique, je travaille aussi sur des illustrations (pour le site web, ebooks, etc), quelques interfaces digitales (les icônes des applications par exemple) ainsi que la scénographie de nos stands lorsque nous sommes invités à des salons.

Ma journée type débute par une lecture de mes mails et de ma To-do, que je fais sur Trello. Je ne connaissais pas cet outil avant, et j’en suis accro aujourd’hui. Comme nous sommes 35 employés, nous pouvons utiliser cet outil tous ensemble et prioriser les urgences plus facilement. Cela me permet aussi de gérer le flux des demandes : mes collègues se rendent mieux compte de la charge de travail que j’ai et évitent donc de me demander un truc énorme la veille pour le lendemain. Je passe aussi beaucoup de temps sur Pinterest, Behance et Dribbble pour m’inspirer et me tenir au courant des tendances. Le reste du temps, je travaille sur la suite Adobe et principalement avec Illustrator.

Ce que j’apprécie chez Augment c’est la diversité des employés. Beaucoup d’entre nous sont d’origines différentes (Pologne, Macédoine, USA, Vénézuela…). Nous avons même eu des locaux aux Etats-Unis par le passé. Nous travaillons beaucoup en anglais, et toutes les réunions et documents importants doivent être faits dans cette langue. Cet argument a beaucoup joué dans ma décision d’intégrer Augment, car j’ai pour but de vivre à l’étranger un jour et je voulais savoir si je serais capable de travailler dans une autre langue.

Les locaux de la start-up Augment

Pensez-vous que la réalité augmentée est l’avenir des interfaces et de l’expérience utilisateur ?

C’est vrai que la réalité augmentée a pas mal la côte en ce moment, d’autant plus depuis qu’Apple et Google ont sorti ARkit et ARcore, deux kits de développement d’applications en réalité augmentée. Personnellement, je pense que les gens ont parfois tendance à utiliser la réalité augmentée un peu à tort et à travers. Ajouter cette fonction juste parce qu’elle est “cool”, pour moi n’a pas d’utilité, donc je pense qu’il faut être prudent.

Comme vous le savez certainement, il y a la réalité augmentée d’un côté (un modèle virtuel dans le monde réel), et la réalité virtuelle de l’autre (un monde complètement virtuel). Dans un futur très proche, la frontière entre les deux va s’effacer : ça s’appelle la réalité mixte. Il sera plutôt difficile de les différencier puisqu’on pourra switcher de l’une vers l’autre sans vraiment s’en rendre compte et cela sera complètement intégré à notre quotidien. Je suis persuadée que la réalité mixte prendra beaucoup d’ampleur, surtout pour les designers d’interface qui pourront en faire des choses très intéressantes. Cela posera aussi des questions éthiques, mais je ne suis pas la mieux placée pour vous en parler !

Justement, aujourd’hui, avez-vous des inquiétudes pour l’avenir de la profession ?

En ce qui me concerne, pas tant que ça, je suis plutôt positive en général. Ce qui pourrait m’inquiéter à la rigueur, c’est l’augmentation de “designers amateurs” qui frôlent un peu l’imposture parfois. Selon moi, le design est une discipline quasi-scientifique, régie par des principes et des lois. Je ne dis pas que des études sont nécessaires pour travailler dans le domaine, mais je ne pense pas non plus qu’on puisse s’improviser graphiste, sous prétexte que ça a l’air facile et cool et qu’on a piraté Photoshop. C’est en réalité bien plus compliqué qu’il n’y paraît.

En tant que femme designer, vous êtes très engagée notamment sur twitter, et  vous avez écrit un article récemment qui s’appelle “Où sont les femmes dans le design ?”, pouvez-vous nous en parler ?

Je suis partie du même constat que vous : Lorsqu’on me demandait de citer une femme designer, je restais silencieuse car je n’avais aucun nom en tête, à part peut être Paula Scher. Et encore, c’est parce que j’ai regardé la série Abstract sur Netflix !
Je n’en connaissais aucune autre, tout simplement parce qu’on ne les étudie ni à l’école, ni ailleurs, et que je n’avais pas été assez curieuse à ce propos jusqu’ici. Je me suis donc mise à faire des recherches et cet article que j’ai écrit est un peu le fruit de mes réflexions. Je me suis rendue compte qu’on manque cruellement de représentation féminine dans le design alors que pourtant, elles existent ! Cette représentation féminine est très importante, puisqu’elle permet d’inspirer les jeunes filles à faire ce métier et à persévérer dans cette voie. Lorsqu’elles n’en voient pas, elles n’ont aucun modèle auxquels se référer et ont donc plus de difficultés à se projeter dans ce métier.

Les écoles d’art sont constituées à 70% de filles, et pourtant quand on regarde ce qu’elles sont devenues 3 ans après le diplôme, dans les milieux professionnels du design, soit elles ne sont plus là du tout, soit elles occupent des “petits” postes. On les voit très peu en tant que Directrice Artistique ou Directrice Créative. Il y a beaucoup de raisons qui expliquent pourquoi les femmes ne sont pas plus présentes en haut de l’échelle ou ne sont pas autant reconnues que les hommes. Parmi ces raisons, on trouve le sujet épineux du congé maternité, qui freine parfois dès l’entretien d’embauche. On demande parfois aux femmes si elles prévoient d’avoir des enfants dans les années à venir (et c’est complètement illégal !). De même, les postes à temps partiel concernent davantage les femmes que les hommes dans les familles. Ce problème touche toutes les sphères professionnelles.

Ce qui est plus particulier au design en revanche, c’est que c’est un métier dans lequel on met toutes ses tripes, dans lequel on est très jugé, ce qui est un terrain favorable au syndrome de l’imposteur qui est très présents chez les femmes. Ce syndrome, c’est cette petite voix dans votre tête qui vous dit “tu n’es pas assez compétente”, “si on t’a embauchée c’est sur un malentendu”, “tu as juste de la chance” et que notre réussite n’est pas dûe à notre propre travail. Il y a des chiffres qui disent que les hommes qui postulent à un emploi sont prêts à envoyer leur CV pour un poste même s’ils ne réunissent que 60% des compétences requises, alors que les femmes attendent d’avoir 90% des qualifications. Je parle beaucoup de cela autour de moi, et si il y a bien quelque chose que j’ai appris c’est qu’il faut toujours tenter sa chance, même si l’on a pas toutes les compétences demandées. Sait-on jamais, l’employeur fermera peut être les yeux là-dessus s’il pense que vos expériences passées, votre personnalité et votre motivation pourront compenser ce manque.

Pour lire l’article dans son entièreté, c’est par ici.

 

Vous faites aussi de l’illustration, pouvez-vous nous en dire plus ? Est-ce un hobby ou plutôt un outil de travail ?

L’illustration a été mon premier amour. Quand j’étais petite je dessinais tout le temps et j’adorais ça, et c’est pour cette raison que j’ai intégré une école d’art après le bac. Je ne me voyais pas faire autre chose ! Maintenant que je travaille, je ne dessine quasiment plus pour moi, mais je continue à le faire pour le boulot. Ce que je préfère en ce moment c’est l’illustration vectorielle que je pratique depuis 5 ans, j’illustre des villes, des perspectives isométriques, ce genre de choses. J’aime expliquer aux gens quelque chose de complexe par le biais d’une illustration simple (ce que je fais beaucoup avec Augment). Pour ce qui est de mes inspirations, je me nourris comme beaucoup de ce que je vois sur Pinterest ou Dribbble.

Pour la petite histoire, j’ai été contactée un jour par une marque londonienne de chaussures qui m’a proposé une collaboration. Ils demandaient deux illustrations, l’une devant représenter leur nouveau modèle de chaussures, et l’autre une influenceuse partenaire de la marque. En échange, je devais recevoir une paire de chaussures. Ca fait maintenant deux ans que je les attends (rires) ! Tout ça pour dire qu’il faut vraiment se méfier des collaborations non officielles, et des absences de contrat. J’ai appris ma leçon!



Quelle serait la prochaine designeuse qu’on devrait interviewer ?

Je vous conseille d’interviewer Sabine Condiescu, UX designer et ancienne collègue à moi.

Merci Caroline !

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