Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Bonjour, je m’appelle Marta Holod, je suis née et j’habite en Ukraine, et je travaille actuellement dans le design et la création de chapeaux : je suis modiste.
Lorsque j’étais plus jeune je voulais faire mes études dans l’institut de design à Kyiv, mais ma mère ne m’a pas laissé aller dans la capitale car elle avait peur pour moi. J’ai donc suivi une formation de design dans ma ville d’origine située à l’Est du pays : Kharkiv. À l’époque, je rêvais de devenir designer haute couture et de travailler dans l’industrie de la mode, mais je me suis vite rendu compte que cela nécessitait des moyens financiers dont je ne disposais pas. Je me suis alors lancée dans la création d’accessoires, ce qui m’a permis d’exprimer mes idées, de me démarquer et m’a surtout donné l’occasion de créer une collection à part entière.
Je me suis tout d’abord aventurée dans le dessin d’esquisses, puis le choix des matériaux et enfin la conception, la fabrication… Le hasard des choses a fait qu’un des designers de la maison de la mode de Kharkiv venait de créer une collection de manteaux avec les mêmes tissus que moi. Il m’a ainsi proposé une collaboration que je me suis empressée d’accepter… collaboration qui a abouti à un très beau défilé et par la suite une collaboration plus prolongée pendant deux ans !
Ravie de cette première expérience au sein de la maison de la mode de Kharkiv, j’ai fait connaissance avec Vyacheslav Zaitsev qui à l’époque supervisait cette maison en Ukraine. Cela a été pour moi une expérience enrichissante, instructive et réellement nouvelle. En effet, j’ai pu découvrir l’industrie de la mode de l’intérieur, en observant la création de défilés, des shooting photos, en partant processus de création jusqu’à la commercialisation.
Après ces deux années, je me suis sentie assez expérimentée pour me lancer toute seule dans ce métier. J’ai dû me former moi-même au design des chapeaux et à la chapellerie en général. À l’époque, il n’y avait pas d’école qui se spécialisait dans ce secteur, ni même de livres dédiés à ce sujet. Je me formais en trouvant des articles ça et là et également dans les anciens ouvrages d’avant-guerre. Ainsi, chaque petite information que je trouvais était très précieuse pour moi et pour ce savoir-faire. Je me suis alors rendue compte que les chapeaux sont au centre de mon attention, ma passion et que c’est le seul domaine dans lequel je souhaitais réellement évoluer.
Aujourd’hui encore je ne m’imagine pas faire autre chose que d’être modiste.
Pouvez-vous décrire votre processus de création, de l’idée à la réalisation ?
Les idées me viennent très spontanément, cela peut venir d’un film ou d’une composition musicale, d’une personne que j’ai vue ou même d’un objet comme un bouton que j’aurais remarqué dans un magasin. À partir de là, je visualise très rapidement une image qui découle dans tous les sens et me donne l’idée visuelle, graphique, plastique, du chapeau. Cependant, ma source d’inspiration principale reste la nature, car le facteur de diversité, les couleurs et les fleurs sont très impressionnants pour moi. Cela m’aide aussi à trouver de belles combinaisons de couleurs dans mes réalisations et dans le choix des matériaux. Ensuite je passe à la confection, un travail de longue haleine.
Parmi vos premiers projets, lequel vous a le plus marqué ?
Je me rappelle de mon tout premier chapeau.. je l’avais réalisé sans même connaître les règles de la conception. J’ai acheté un chapeau de paille que j’ai enveloppé de satin et j’y ai rajouté des roses que j’avais fabriqué à la main. C’était un travail très soigné et j’avais pensé à tous les détails. Cependant, à l’époque, je ne savais pas faire de vraies visières et ça me frustrait énormément. J’avais néanmoins commencé à accepter des commandes de chapeaux sur mesure pour les mariages. De l’extérieur ils étaient ravissants, mais je savais que leur base n’était pas construite dans les règles de l’art… Cela me poussait à baisser les prix de mon travail. Il m’a fallu beaucoup de temps et d’énergie avant d’acquérir toutes les connaissances sur la construction de visières et de rivaliser avec mes concurrents.
Lequel de vos projets a eu le plus de succès ?
Je dirais plutôt que dans chaque période de ma carrière j’ai eu des moments d’illumination. Par exemple, lorsque je travaillais dans la maison de mode, l’un de mes patron m’avait dit « imagines que tu sois installée à Paris, et qu’il y a des femmes incroyables qui s’y promènent, réfléchis à quels genres de chapeaux elles pourraient porter ! ». Je ne sais pas pourquoi je les avais imaginé avec des chapeaux gigantesques, mes réalisations avaient 1,5m de diamètre et ça avait fait fureur au défilé !
Quelques années plus tard quand je suis revenue dans la chapellerie de ma ville pour trouver un professeur qui pourrait m’apprendre à confectionner des chapeaux en feutre, les femmes de l’atelier m’avait reconnues et étaient très impressionnées car elles avait vu ma collection à la télévision et se souvenaient de moi. Elles m’ont d’ailleurs demandé comment est-ce que j’ai réussi à faire une visière aussi grande, ce à quoi j’ai répondu que malheureusement c’était du carton, même si bien-sûr ça ne se voyait pas car je l’avais recouvert de tissus et que le résultat était très beau.
L’un de mes chapeaux qui m’a également marqué, est celui qui a été porté à Londres lors de l’une des courses de chevaux les plus prestigieuses et qui a été remarqué par le modiste de haute-couture mondialement connu Philip Treacy. Il s’est approché de la fille qui le portait (Katya Osadcha qui est une présentatrice télé ukrainienne) et lui a dit qu’il trouvait son chapeau tout simplement fantastique. Pour moi c’était un évènement très marquant d’entendre ces mots de la bouche du chapelier le plus talentueux qui existe.
Y-a-t-il eu des projets ou des commandes que vous n’avez pas aimé ou pas réussi comme vous le vouliez ?
La première réponse qui me vient en tête est non… mais en y réfléchissant c’est vrai que les toutes premières commandes que j’ai eu dont j’ai parlé un peu avant, et bien je n’en suis pas très fière. Mais de manière générale j’aime beaucoup mon travail et les projets que je réalise. Même quand j’ai des commandes un petit peu difficiles, elles m’inspirent encore plus et me poussent à persévérer davantage pour les réussir. Et heureusement pour moi je les ai toujours réussis avec succès.
Comment se passe votre journée type ?
Avant j’avais un emploi du temps très libre, je pouvais me réveiller et me demander si j’allais faire ou pas un chapeau aujourd’hui ? *rire* Et en fonction de la réponse, le reste de ma journée se déroulait. Je pouvais passer mes journées à me promener ou m’occuper de questions familiales. Et à première vue cela peut ressembler à des journée fainéantes mais en réalité c’est durant ces moments que me venaient en tête les meilleures idées, que je réalisais le lendemain.
Aujourd’hui, mon activité est devenue plus « structurée » et je comprends qu’il faut prendre les choses beaucoup plus au sérieux. Et c’est vrai que ces moments d’inspirations sont devenus très rares puisqu’ils ne sont plus compatibles avec le rythme que je mène qui m’oblige à travailler d’arrache-pieds.
Cependant, je m’oblige tout de même à prendre au moins une journée de repos dans la semaine afin me rafraîchir les idées.
Question bonus : qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre travail de designer ?
Changer le monde.
Enfin, pour conclure, quelle serait la prochaine designeuse que nous pourrions interviewer ?
Olena Dats, designeuse textile qui se trouve être une amie à moi.