Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Bonjour, je m’appelle Aurélie, je suis designer de bijoux pour la marque « Les Néréides » qui se situe à Paris. J’ai fait ma licence à Olivier de Serres puis j’ai enchainé sur un Master de design en joaillerie à la Centrale St Martins à Londres. Ce qui fut une expérience vraiment déterminante pour moi car c’est là bas que j’ai fait un projet de lunettes de luxe et je me suis rendue compte que j’aimais vraiment ça. Pour ce qui est de ma personnalité, j’aime beaucoup nager mais ma grande passion dans la vie c’est manger (*rires*).

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Les Néréides à Paris

Comment décririez-vous ce que vous faites ?

Dans l’atelier des Néréides, je crée des bijoux d’émotion, c’est comme ça que la marque le définit en tout cas. La direction artistique nous donne des thèmes, qui sont souvent liés à leurs histoires personnelles et qui veulent toujours amener un sentiment de voyage, de souvenirs et même évoquer en nous d’autres sens (des odeurs, des couleurs, une joie ou au contraire des sentiments mélancoliques). Mais l’optique reste de nous faire ressentir des choses en portant ces bijoux.

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Quel a été votre projet préféré lorsque vous étiez étudiante ?

Il y a un projet sur lequel j’ai travaillé sur toute la durée de mon Master, c’est donc celui qui m’a le plus marqué. D’une part car c’est celui qui m’a pris le plus de temps dans la réalisation et d’autre part car c’est celui qui a été le plus aboutit, tant personnellement que professionnellement. Il a fallu que je trouve un sujet qui me tienne vraiment à cœur car je savais que ça allait provoquer des rencontres intéressantes et ça serait un projet déterminant pour ma carrière. J’ai donc travaillé sur le design de lunettes de luxe mais avec l’inspiration de nourriture, ce qui a abouti à des lunettes homard dont le nom était « I cook my glasses à la française ».

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J’ai essayé de travailler ces lunettes vraiment comme un bijou, ce qui n’arrive pas souvent, car aujourd’hui la lunette est quelque chose de vraiment industriel. J’ai aussi voulu avoir une approche du design différente, c’est pourquoi j’ai contacté des chefs étoilés. Je les ai interviewés sur leur façon de créer car pour moi la cuisine c’est le summum de l’art. En effet ils utilisent tous les sens, tandis que nous designers d’accessoires, nous travaillons souvent avec l’esthétique donc nous touchons la vue et quelque fois le toucher mais cela va rarement au-delà. J’ai alors cherché à savoir comment ils s’inspirent car ils n’ont pas forcément une formation artistique.

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Pour ma collection j’ai beaucoup travaillé sur la texture pour avoir des effets de surface sur l’acétate, tout en valorisant un savoir-faire (pour la petite histoire, la lunette est originaire de France). J’ai contacté le meilleur ouvrier de France qui m’a appris énormément de choses, j’ai conçu les branches… tout a vraiment été fait à la main. C’est donc un projet qui a regroupé tout ce que j’aimais : l’artisanat, le savoir-faire français, la nourriture et surtout la gastronomie car c’est là où on pousse à l’excellence.

D’ailleurs, c’est ce qu’on nous apprend toujours à l’école : être excellent partout et redoubler d’effort là ou nous avons tendance à abandonner.

Les lunettes que vous portez sont une de vos créations ?

Non, les miennes ne le sont pas malheureusement. Lorsque j’ai travaillé sur ce projet, j’ai défini comme cible principale les femmes qui n’achètent que des produits de luxe, je ne corresponds donc pas à mon marché. En réalité, je ne suis même pas sûr de savoir ce que je voudrais comme design de lunettes, c’est très difficile de définir nos propres besoins.

Quelle a été votre démarche pour contacter tous ces spécialistes avec lesquels vous avez travaillé ?

Je n’ai jamais vraiment eu de contact dans le monde du design, j’ai fait beaucoup de salons d’optique, j’ai été sur le stand des meilleurs ouvriers de France et les questions que je leur posais les interpellaient beaucoup puisque ma démarche était différente. Ça a notamment intéressé Xavier Christin le meilleur ouvrier de France qui m’a promis de m’aider et, dans la mesure du possible, à réaliser mon Master.

Lorsqu’une marque m’intéressait je n’hésitais pas à aller taper à leur porte, j’ai aussi demandé à faire des stages. C’est comme ça que j’ai appris un certain savoir-faire. Et c’est avec ce genre de démarches que j’ai réussi à connaître les gens qui m’ont aidé dans la réalisation du projet.

Expliquez-nous votre technique et les outils que vous utilisez dans votre métier aujourd’hui.

J’utilise beaucoup le dessin, notamment les crayons de couleur que j’affectionne particulièrement. En réalité, je conçois l’idée sur papier mais je ne participe pas au prototypage, mais par contre j’assiste les infographistes à la mise au point des dossiers techniques. Puis nous envoyons nos dossiers à nos fabricants en Asie qui mettent au point soient des 3D soient des castings en cire. Nous nous mettons de plus en plus à la 3D en interne car il est parfois difficile pour nos fabricants de comprendre nos modèles en 2D car nos bijoux sont assez complexes. Nous avons d’ailleurs des formations sur des logiciels comme Rhino, avec lesquels j’ai encore un peu de mal. Comme c’était mon point faible, je regrette de ne pas m’être investie davantage à l’époque de mes études, car ça à tendance à me bloquer dans ma création.

Je fais 15 à 20 collections par saison (une saison = 6 mois de travail). Dans ma méthodologie de travail, je commence par voir la direction artistique qui me donne des inspirations, puis je fais des moodboards (je passe des fois des journées entières à faire de la recherche d’images sur Pinterest, dans les magazines, les livres et). Après cette étape, je commence à faire des croquis, pour savoir vers quoi je vais me diriger, décider du volume, trouver des nouvelles pierres, et m’inspirer de la haute joaillerie. J’essaye toujours d’innover, trouver des nouveaux systèmes de chaînes etc.

Pour résumer je m’inspire, je dessine et je Photoshop pour mieux faire comprendre le design de mon modèle.

Aujourd’hui vous êtes plus orienté design de bijoux que de lunettes, est-ce volontaire ?

Je reste assez ouverte d’esprit sur les différents aspects du design, car au final ce que j’ai appris à la St Martins, s’applique à tout type de design. C’est d’ailleurs ce qui m’a permis de passer d’une catégorie à une autre sans trop de difficulté. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui j’aime beaucoup faire du design de lunettes, même si je reste ouverte sur de l’accessoire en général. Peut-être qu’en ayant une formation encore plus complète, je pourrais faire de la chaussure avec le travail du cuir. D’un autre côté, j’aime aussi la pâtisserie, donc je ne sais pas si je pourrai lier les deux un jour. Mais si je devais changer de poste je rechercherais quelque chose dans le luxe, que ça soit de la lunette ou de la haute joaillerie.

Question bonus : si demain vous aviez un budget no-limit, quel projet rêveriez-vous de faire ?

Je pense que j’ouvrirai ma boîte de design de lunettes de luxe. Elles seraient totalement adaptées aux clients. Mon but c’est de faire du sur-mesure, que le client reparte très satisfait et en ayant eu un service de restaurant 3 étoiles, avec un travail de fond colossal. Cela permettrait de faire ressortir la personnalité des gens et valoriserait le savoir-faire français.

Enfin, pour conclure, quelle serait la prochaine designeuse que nous pourrions interviewer ?

C’est une amie avec qui j’ai fait mes études, elle s’appelle Marjorie Artières et elle travaille à New York en ce moment.