Bonjour Sylvia ! Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis designeuse, avec un parcours assez hétéroclite qui a combiné expériences professionnelles et études. Mon parcours commence par l’École Nationale Supérieure des Arts Appliqués et des Métiers d’Art dans l’environnement architectural. J’étais assez intéressée par tous les enjeux de citoyenneté et l’appropriation de l’espace public. Suite à cette formation j’ai travaillé 3 ans et j’ai repris mes études car j’avais besoin d’être formée en informatique puisque à l’époque nous travaillions beaucoup à la main et ça ne répondait plus à des enjeux professionnels concrets. J’ai donc étudié le graphisme aux Gobelins, puis l’hypermédia à Paris 8, et j’ai fini par de la recherche à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris dans le département EnsadLab sur les enjeux politiques liés à l’acte de designer l’espace public. Entre temps j’ai cumulé des expériences professionnelles notamment dans l’urbanisme, l’expérimentation liée à la mobilité, mais aussi sur la collectivité publique et des démarches participatives. Mon fil conducteur a toujours été l’engagement du designer dans le rapport à l’espace public et ce que peuvent apporter les nouvelles technologies dans cette médiation.
J’enseigne également depuis 4 ans dans plusieurs lieux comme la Sorbonne en Master dans le domaine de l’art et de la culture, à La Fonderie de l’Image en Master de design graphique, et enfin à INFOCOM à Nanterre et précédemment à Nîmes.
Comment travaillez-vous ? Avez-vous certaines techniques, quels outils utilisez-vous ?
Je commencerais par citer Nicolas Nova qui a écrit « Les flops technologiques » décrivant l’histoire de nos technologies contemporaines et comment elles ont été inventées pour certains usages à priori mais n’ont pas fonctionné ou qui ont été adopté pour des usages que nous n’avions pas anticipé. J’essaye donc toujours de rester sensible aux besoins d’un environnement, d’être dans l’observation, la compréhension d’un contexte et de ne pas penser les choses à priori. J’ai conçu auparavant des interfaces web mais j’ai l’impression que ma pertinence est moins dans la création mais plus dans la médiation entre les personnes et les technologies.
Comment décririez-vous ce que vous faites ?
Je dirais que je suis une civic designer qui travaille à l’interface entre différents cadres institutionnels. Je m’intéresse au processus d’accompagnement citoyen qui permet de préparer le terrain en quelque sorte pour que l’utilisateur ne soit pas perdu lorsqu’il utilise une nouvelle technologie.
Quel a été votre dernier projet coup de cœur ?
Celui qui m’a marqué et dont je me souviens aujourd’hui est plutôt une expérience personnelle. Il y a deux ans j’ai commencé à m’intéresser aux enjeux qui relèvent de notre modèle économique et la manière dont on vit l’espace public, la manière dont on crée les projets. Et j’ai rencontré le Réseau francophone des biens communs qui s’intéresse aux modalités d’inventions des nouvelles manières de gérer nos ressources en commun (naturelles ou informationnelles). Sur ce sujet j’ai fait une cinquantaines d’interviews avec des gens très différents qui se rejoignaient sur cette problématique de recherche et ce qui était intéressent était de voir cette diversité d’avis sur le sujet et de puiser dans les connaissances si riches et différentes les unes des autres.
Qu’est ce qui vous plaît le plus dans le travail en groupe ?
Pour moi la transmission est très importante et me tient vraiment à cœur. Elle permet de renouveler sa propre pensée et l’échange avec les étudiants est pour moi primordial. Il reste beaucoup de choses à inventer en terme de transmission, de dispositifs pédagogiques dont je suis assez critique. Ce qui m’intéresse dans les workshops c’est d’inventer des formats qui participent modestement à réinventer la transmission, que ça soit sur les enjeux d’horizontalité entre celui qui transmet et celui qui reçoit ou sur les enjeux d’évaluation / autoévaluation. Le système éducatif aujourd’hui n’est pas conçu pour le travail en groupe et en tant que professeur j’en souffre beaucoup au niveau de l’évaluation puisqu’il faut une note pour chacun. Les workshops sont donc une recherche à part entière en terme de méthodologie, d’apprentissage et de transmission.
Quel est votre prochain grand projet ?
Je travaille actuellement déjà dessus mais je n’en connais pas encore les cadres. Il s’agit d’un projet associatif. Dans cette logique de réfléchir comment je me situe dans l’interface et l’innovation j’ai trouvé l’Open Knowledge Foundation qui est une association à but non lucratif de droit britannique promouvant la culture libre, en particulier les contenus libres et l’open data. En passant par la création de dispositifs parfois juridiques qui permettent de définir des standards au delà des connaissances qu’on a déjà. Il y aussi l’aspect technique avec la CKAN qui est une plateforme permettant d’échanger des données entre les producteurs et les utilisateurs. Elle est aujourd’hui utilisée par plusieurs gouvernements comme les USA, la Grande-Bretagne et la France.
Le dernier axe est celui du terrain, où l’on développe des ateliers pour sensibiliser les enjeux d’appropriation des données. C’est donc de mon grand projet du moment.
C’est l’heure de la question « hasard », vous avez tiré la carte n°8 : Dans votre métier, qu’est-ce qui vous inquiète ? Au quotidien ou pour l’avenir de la profession ?
Pour moi le mot inquiétude est connoté de manière péjorative mais j’aurais tendance à le transformer au contraire en quelque chose de positif. S’inquiéter et rester attentif c’est plutôt une qualité dans notre métier. Il faudrait donc que l’on s’inquiète de notre capacité à ne pas nous enfermer dans des cadres qui nous empêchent de nous saisir d’opportunités quotidiennes. Que ça soit celle de collaborer ou d’aller vers des formes de notre métier auxquelles on ne s’attend pas.
Enfin, pour conclure, quelle serait la prochaine designeuse que nous pourrions interviewer ?
Emelyne Brulé, car c’est un sacré bout de femme que moi-même j’ai déjà interviewé, elle se nourrie de plein de cultures différentes. Elle a un regard sur la place de la femme, une connaissance de la culture féministe et elle positionne son propre être au quotidien par rapport à ça. C’est une figure assez singulière et en ça elle m’a beaucoup fasciné. C’est une designeuse militante qui sait très bien se saisir de la vie quotidienne pour penser son travail.
Merci Sylvia !